Nouer des liens et faire vivre l'histoire
La mise en valeur du secteur fortifié de Faulquemont est au coeur du travail des bénévoles de l’ASFF. Cette tâche est réalisée via la restauration des ouvrages, mais plus encore via la diffusion du récit de la mémoire des soldats qui y passèrent une période clef de leur vie en 1939-1940.
Bien entendu, des livres ont déjà été publiés sur l’histoire générale de la ligne Maginot, dans lesquels on peut trouver photos et récits des événements survenus notamment dans le secteur fortifié de Faulquemont et en particulier aux ouvrages de Laudrefang et Téting. Mais le constat est fait en 2007 que les témoignages manquent et que tout reste à faire.
Un travail colossal attend alors les bénévoles qui ne sont guère découragés, guidés par leur soif de connaissance.
Tels des enquêteurs, les bénévoles se sont lancés sur plusieurs pistes afin de retrouver documents et témoignages susceptibles de renforcer la connaissance de l’histoire de leurs ouvrages.
La première piste fut celle du Service Historique de la Défense à Vincennes. Lieu de mémoire incontournable pour tout historien ou passionné de l’histoire des armées françaises, il a fait, au fil des années, l’objet de nombreuses visites de certains de nos bénévoles qui y ont trouvé de nombreux documents, certains connus, d’autres inédits.
Rapports écrits, photos, inventaires : la variété de ces pièces nous permettent de mettre en lumière le quotidien des soldats français en 1939-1940, de la simple corvée de déneigement des tranchées jusqu’aux bombardements de juin 1940.
En 2009, contact est pris avec la famille du sous-lieutenant Emile Choné, commandant du Bloc 3 du PO de Laudrefang en 1939-1940, dans le but d’évoquer son souvenir et de faire découvrir à ses descendants le travail entrepris par l’ASFF pour honorer sa mémoire et celle de ses camarades.
Toujours en 2009, nous contactions le fils de Jean Vindevogel, soldat observateur affecté dans ce même Bloc 3 et ayant rédigé le récit de son quotidien lors de cette période. Après-guerre, il publia ce récit sous la forme d’un livre que son fils réédite suite à notre prise de contact. Ce texte apporte un témoignage extrêmement précieux sur le vécu des occupants du Bloc 3, de la mobilisation jusqu’à leur départ en captivité le 1er juillet 1940 vers l’Allemagne.
À partir de 2016, Simon, vice-président de l’association, décide d’approfondir ces recherches et de rentrer dans la mémoire vive du petit ouvrage de Laudrefang. L’objectif : identifier et contacter les familles d’anciens combattants de l’ouvrage, au nombre d’environ 275 en 1940 (chiffre hélas invérifiable), à l’aide des archives conservées par le Service Historique de la Défense. La tâche est difficile, car il s’agit bien souvent de s’appuyer sur un simple nom de famille, parfois une commune de naissance, et de contacter les personnes susceptibles d’être le descendant d’un ancien.
A travers toute la France, des coups de fil sont passés, des courriers sont envoyés. Aux coups d’épée dans l’eau se succèdent de véritables succès. A ce jour, ce sont ainsi 104 familles d’anciens soldats de l’ouvrage qui ont été retrouvées. Ces contacts ont été l’occasion d’échanges chaleureux au sujet de la vie d’un père, d’un grand-père, d’un aïeul, et de découvertes de documents d’une grande valeur historique. 250 photographies (d’avant, de pendant ou d’après-guerre), des portraits, des carnets individuels du temps de guerre, des livrets militaires ou encore des correspondances ont ainsi été scannés, envoyés par les familles à l’association voire même donnés.
Du commandant de l’ouvrage au soldat deuxième classe, du mécanicien de l’usine électrique au médecin, les recherches tous azimuts ont permis de retrouver les profils les plus variés de l’équipage, donnant forme progressivement à une véritable « photo de classe » de l’équipage et donnant une idée plus précise de ce que fut son quotidien. On découvre alors ce que furent les sentiments des soldats sur la Drôle de Guerre, sur les combats, de ce que furent leur colère, leur tristesse, leur résignation à l’annonce de leur départ en captivité le 1er juillet 1940.
Ces recherches retracent ainsi l’histoire de ces hommes, pas seulement pendant la guerre, mais aussi avant et après la guerre.
En mars 2020, Valentin entreprend des recherches similaires pour le PO de Téting dans lequel son grand-père a combattu en 1939-1940. Menées au pas de charge, ses investigations portent rapidement leurs fruits avec une vingtaine de familles d’anciens contactées et de nombreux documents collectés. Trésor historique, un témoignage épistolaire s’étalant sur toute la durée de la Drôle de Guerre a ainsi été retrouvé, ainsi qu’une centaine de photographies inédites.
En septembre 2020, la veuve de Jean-Marie Becker, historien du village de Téting-sur-Nied récemment décédé, fait don à l’ASFF de toutes ses recherches menées sa vie durant sur le PO de Téting. Un fond colossal qui apporte de nouvelles photographies d’époque, des témoignages inédits et d’autres documents encore qui viennent faire progresser nos connaissances sur ce site historique.
Toutes ces démarches, pour quoi faire ? Il ne s’agit pas simplement de rappeler aux visiteurs de passage le souvenir oublié de soldats qui sacrifièrent leur jeunesse pour leur pays, mais aussi et surtout de faire vivre leur mémoire.
Il s’agit de montrer que la Seconde Guerre mondiale ne fut pas toute la vie et rien que la vie de ces hommes, mais une partie seulement, un épisode, un événement qu’ils eurent à subir, au beau milieu de leur jeunesse.
Il s’agit de leur rendre hommage, de faire le récit de ces petites histoires, de ces destins individuels pris dans le tumulte de « l’étrange défaite » de 1940.
Il s’agit de poursuivre leur combat, celui qu’ils eurent à mener de 1945 jusqu’à la fin de leurs jours, repousser l’idée fausse mais ancrée dans l’imaginaire collectif qu’ils furent les responsables de la défaite, soldats inutiles de la ligne Maginot.
Nous le savons maintenant, beaucoup d’anciens combattants restèrent attachés à leurs ouvrages, à leurs camarades et restèrent soudés dans ces souvenirs souvent douloureux mais parfois heureux.
L’ASFF œuvre à replacer ces petites histoires dans la grande. A travers ces recherches, nous cherchons à toujours plus à plonger les visiteurs, le temps de quelques heures, dans le quotidien de ces équipages, tout en perpétuant leur souvenir et faisant vivre leur histoire.
Et, d’ici quelques années, Valentin et Simon publieront également le fruit de leur travail dans deux livres respectivement dédiés aux ouvrages de Laudrefang et Téting.
En attendant, les recherches continuent.
Pour que la mémoire de ces hommes soit plus vive que jamais, l’ASFF va au bout de la démarche de contact des familles en organisant des visites des ouvrages à leurs descendants.
Ainsi, le 2 novembre 2019, les bénévoles de l’association se sont réunis pour accueillir la famille du soldat André Willot, affecté au PO de Laudrefang de 1938 à 1940. Contactés en mars 2018 par Simon, son fils et son petit-fils, accompagnés de leur épouse, sont revenus sur les lieux mêmes où leur père et grand-père avait combattu en juin 1940. Un moment riche en émotions et en anecdotes.
Né en 1914, André Willot avait accompli son service militaire au 146e Régiment d’Infanterie de Forteresse entre 1935 et 1936. Le 24 septembre 1938, il est rappelé une première fois sous les drapeaux à l’occasion de la crise des Sudètes et rejoint l’ouvrage avant d’être rapidement renvoyé dans ses foyers. Le 24 août 1939, il quitte une seconde fois sa famille, son épouse et son fils alors âgé de six semaines, pour rejoindre l’équipage de l’A37 en tant que tireur fusil-mitrailleur au 156e Régiment d’Infanterie de Forteresse. Le 2 juillet 1940, c’est entouré de ses camarades qu’il prend le chemin de la captivité.
En dépit de la pandémie, 2020 aura également une année riche en événements.
Le 26 juin 2020, le fils du sous-lieutenant Amand Cointet qui commandait en juin 1940 le Bloc 1 du PO de Laudrefang, revenait sur les traces de son père. Le 26 août suivant, Simon accueillait sa petite-fille, accompagnée de son mari et ses enfants.
Le 5 juillet, ce fut le tour de la famille du sous-lieutenant Émile Choné, commandant du bloc en 1939-1940. Une trentaine de membres faisaient le déplacement au Bloc 3, pour un moment convivial et fort en partage sur la vie de leur aïeul, qui fut toujours soucieux de transmettre son vécu et celui de ses hommes au cours de cette période particulière de notre Histoire.
Et puis, en juillet 2021 eut lieu un rassemblement inédit : des dizaines de familles d’anciens combattants des ouvrages de Laudrefang et Téting sont réunies le temps d’un week-end. Un moment riche en émotions, l’occasion pour elles de découvrir ou redécouvrir les sites sur lesquels leurs aïeuls combattirent, d’apprécier les travaux de restauration menés par l’ASFF mais aussi et surtout de nouer des liens avec les autres familles. Un juste retour des choses alors que nos recherches nous ont appris que de nombreux anciens avaient entretenu des liens entre eux après-guerre, se réunissant les uns chez les autres ou organisant des pèlerinages au secteur fortifié de Faulquemont.
Nouer les liens et faire vivre l’histoire, voilà une belle satisfaction pour l’ASFF.